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Allin Kawsay : Le confinement à Coasa et au Pérou

Lettre du 03 mai 2020 de Jean BOUQUET, ALLIN KAWSAY


Ronaldo vient de temps en temps au foyer parler avec Anita et Fredy, les responsables et rencontrer son copain Franco, leur fils. Il est seul à Coasa avec sa grand mère, attendant en vain l’ouverture du foyer. Il n’arrive pas à suivre les classes que le ministère d’éducation a commencé sur internet, ou au travers de la télé. Il ne mange pas toujours à sa faim... La rentrée des classes était prévue pour le 16 mars, aprés deux mois et demi de grandes vacances. Anita et Fredy, Esmeralda, la cuisinière, Andrès le jeune psychologue, étaient là depuis quelques jours pour tout préparer dans l’attente de l’arrivée des jeunes. La veille, le gouvernement a décidé que ce jour là, débutertait le confinement général de la population. Le 6 mars avait été détecté le premier cas de Covid 19 au Pérou.



La rentrée des classes eu lieu le 30 mars de manière virtuelle... Officiellement les classes sont données sur internet, retransmises par certaines chaines de télé ou par radio. En fait dans des endroits reculés comme Coasa et tant d’autres, bien des élèves, n’ont pas la possibilité de suivres les classes et c’est une grande préoccupations. Le foyer ne peut donc rouvrir. Nous avons du licencier Esmeralda et interrompre le contrat d’Andrès qui est vacataire. Toute notre équipe de travail tant à Sicuani qu’Coasa, a décidé de réduire les salaires d’un tiers en avril. Pour la suite nous verrons. Silvia et moi sommes à Sicuani, impossible pour nous d’aller au foyer car les communications sont interrompues. Anita et Fredy, se désespêrent un peu et souhaiteraient rouvrir même avec un petit groupe, mais c’est impossible. Nous ne baissons pas les bras car nous savons que les jeunes ont besoin d’accompagnement plus que jamais et les parents aussi.


Il nous faut réinventer le foyer et nous y pensons tous les jours... Anita et Fredy ont beaucoup d’idées : faire du soutien scolaire et émotionnel aux jeunes et familles, organiser une cantine, faire des formations pour les jeunes et les familles au travers de la radio locale, faire des visites aux familles... Pour l’instant rien n’est possible, sauf les émissions radio. En principe le confinement devrait durer jusqu’au 11 maI et les activités reprendre progressivement jusqu’au mois d’aout. Les écoles pourrraient rester fermées toute l’année, certains parlent d’octobre... Nous restons en communication fréquente par téléphone, avec Coasa et dès que ce sera possible nous nous y rendrons.


Coasa est un bourg de quelques 5000 habitants, à 4h de bus de Juliaca, la ville la plus proche. Assez vite les transports se sont interrompus, car le confinement est très strict et les controles fréquents pour arriver à Juliaca. Il faut dire que le gouvernement à très bien géré la crise, prenant très vite des mesures radicales de confinement. On peut seulement sortir pour faire des courses, ou aller à la banque, avec un masque et sa carte d’identité. La police et l’armée sillonnent les rues des villes.


Le premier mois de confinement a donné de très bons résultats,mais depuis la situation s’est dégradée. La réalité du pays est difficile. A peine 30 % des péruviens ont un emploi stable. Par exemple, Hugo un de nos amis, à la mort de sa femme il y a plusieurs années, avait décidé de se consacrer à ses enfants. Il avait laissé son travail de chauffeur de poids lourd. Depuis il vit de petits boulots, et heureusement il sait tout faire. Il fait partie des quelques 12 millions de péruviens « informels » qui n’ont pas de travail fixe et survivent au jour le jour en vendant sur les marchés, dans la construction dans divers ateliers de manufacture (sans être déclarés), ou comme Hugo, en faisant des petits boulots à droite à gauche. Heureusement des aides ont été versées à la plupart d’entre eux et aux familles les plus pauvres. Mais bien évidemment ces aides sont insuffisantes. De plus ici il n’y a pas d’assurance chomage...

51 % des péruviens disent avoir plus peur de la faim que du coronavirus : résultat, de plus en plus de personnes habituées à se gagner la vie au jour le jour, sortent pour survivre pour reprendre leur activité de vendeur ambulant, chauffeur de moto taxi... Dans ces conditions les mesures de confinement qui au départ ont certainement sauvé des milliers de vies, sont de moins en moins efficaces. Ajoutez à celà que le système de santé est particulièrement déficient, que sur une populations de 32 millions, 7 á 8 millions de péruviens n’ont pas l’eau courante... Le mythe que l’on avait essayé de nous vendre, d’un pays qui sortait de la pauvreté et entrait dans le club des pays « développés », a volé en éclats. On ne peut plus dire que l’on ne savait pas. Un des résultats positifs, est que c’est devenu un sujet dont on parle et que la lutte contre la pauvreté et l’exclusion, l’amélioration de la santé pour tous sont au coeur du débat national. Il faudra veiller à ce celà dure.

Dernier élément de la crise, depuis une quinzaine de jours, des milliers de péruviens qui pour des raisons de travail étaient dans les villes, se sont retrouvés sans rien et ont commencé à retourner dans leurs lieux d’origine. Des milliers ont pris la route, à pied, depuis Lima et autres villes. Le gouvernement a du freiner cet exode, car beaucoup d’entre eux sont porteurs du virus et risquent de le transmettre dans des régions et villages éloignés, sans possibilités de suivi médical. En principe personne ne peut quitter la ville sans passer un controle. Des rapatriements humanitaires sont organisées. Le ministre de la santé parlait hier soir de quelques deux cent mille personnes qui veulent rentrer chez elles... Dans la situation actuelle du pays, c’est incontrolable. A Coasa, par exemple depuis deux ou trois semaines des gens arrivaient de la ville, la nuit, parfois à pied, par les sentiers de montagne et allaient directement chez eux sans aucun controle... La mairie a finalement autorisé les retours. En arrivant les personnes sont recensées et signent un engagement a rester chez elles. Le résultat se saura bientôt, mais on craint une augmentation importante des cas de covid 19..


Le reste de notre équipe des Écoles pour la Paix, travaille á la maison. Deux fois par semaine nous avons une réunion téléphonique. Nous élaborons du matériel audio visuel pour alimenter différents groupes de professeurs, pour le Facebook institutionnel et préparer la suite.. Cette année il sera impossible de faire des formations dans les écoles, de faire des ateliers pour parents. Il nous faut nous réinventer et tout notre effort, notre créativité sont mobilisés. Nous sentons tous qu’il est indispensable de continuer le travail de prévention de la violence et contribuer à la construction d’une société de paix et de Bien Vivre. Nous espérons pouvoir reprendre le travail au local de l’association, la semaine prochaine. On vous racontera.


Nous savons qu’en Europe la pandémie a été destructrice et provoque bien des souffrances et préoccupations. Quel drame que celui des familles qui n’ont pu dire au revoir à leurs défunts, le drame de tant de personnes âgées ou seules... En même temps, nous sentons que la crise réveille des ressources de solidarité, de générosité particulièrement créatives et contagieuses. Bien des gens repensent au sens de leur vie, évaluent la société de consommation, individualiste et destructice dans laquelle nous vivons. Là aussi il nous faut réinventer nos manières de vivre, nos priorités, nos projets... C’est difficile, mais c’est une question de survie. C’est sans doute une minorité qui y pense, mais elle grandit en nombre et en influence. Ici sur les réseaux sociaux, on peut lire « Nous ne voulons pas revenir à la normalité, car c’est lanormalité qui est le problème ». Qu’en dites-vous ?

Chaque jour, Martin Vizcarra, president du Perou, nous rappelle que la crise est une opportunité pour améliorer nos vies, comme personnes et comme pays. Je crois que la plupart d’entre nous, chacun à sa manière, nous prenons davantage de temps pour réfléchir, prendre soin de notre santé émotionnelle, spirituelle et bien sur physique. Que ce soit au travers de la prière, la méditation, le chikong, le taïchi, le shiatsu, le yoga..., nous pouvons rester proches, présents les uns aux autres, en communion, en particulier avec ceux qui vivent des moments plus difficiles. Selon la sagesse traditionnelle des indiens des Andes et d’Amazonie, le Bien Vivre, si un membre de la communauté va mal, tous en souffrent, car tous les êtres vivants, humains, animaux, plantes... sont interdépendants les uns des autres. Si nous cultivons notre santé, notre bien être, notre spiritualité, nous contribuons à ceux de tous les autres.


Avec toute notre affection et solidarité.


Jean et Silvia




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